Depuis le 5 décembre 2019, la France a battu le record historique de la plus longue période de grève reconductible conjointe par la SNCF et la RATP, soit déjà plus de quarante jours. Un mouvement social qui fait suite au projet de réforme des retraites lancé par le gouvernement d’Edouard Philippe, promis par le président Emmanuel Macron durant sa campagne.

L’une des réformes particulièrement attendues sous le mandat Macron était celle des retraites. Depuis la mise en place du système de retraite par répartition[1] dans la première moitié du XXe siècle, les différentes réformes autour de la question ont toujours suscité une large opposition des syndicats et des travailleurs en général ; en 2010, la réforme menée par Nicolas Sarkozy avait mis entre 1 et 3 millions de manifestants dans les rues. La réforme de 2020 ne semble pas échapper à cette logique ; elle donne lieu à la plus importante grève des transports qu’ait connu le pays et à une forte mobilisation interprofessionnelle.

Le projet de réforme des retraites a notamment été élaboré par la plume de Jean-Paul Delevoye, nommé haut-commissaire aux retraites en septembre 2017. Il a déposé son rapport complet en août 2019, avant d’être poussé à la démission suite à des mandats non déclarés, en décembre dernier. C’est aujourd’hui Laurent Pietraszewski qui assure ce rôle auprès du gouvernement. Le projet de loi a été présenté par Edouard Philippe le 11 décembre 2019, ne réussissant pas à calmer le mouvement social lancé le 5 décembre.

  • Une refonte complète du système par répartition

En outre, le projet de réforme sur les retraites instaure une série de mesures controversées. Le but affiché d’Emmanuel Macron autour de ce projet est la simplification du système et le rétablissement de l’équilibre des comptes de retraites d’ici 2025 dans une société où le nombre d’actifs cotisants tend à se réduire en comparaison au nombre de retraités, conséquence de l’allongement de la durée de vie.

Tout d’abord, la loi préconise la fin des régimes spéciaux, avec l’existence d’un seul régime universel, à la place des 42 régimes actuels. Néanmoins, depuis le début des négociations entre le gouvernement et les syndicats, certains secteurs ont obtenu le maintien d’un régime dit « spécial », à l’instar des militaires, policiers, pilotes etc.

Autre nouveauté, le gouvernement défend la mise en place d’un système par points, accumulés tout au long de la carrière des travailleurs, qui définirait le montant de leur retraite, supprimant ainsi la pension calculée sur les 25 meilleures années des salariés du privé et les 6 derniers mois des fonctionnaires. Ces points seront consultables en temps réel sur un compte retraite, et auraient une valeur fixée par le Parlement et les partenaires sociaux, qui ne pourrait s’affaiblir dans le temps. Enfin, le minimum retraite sera fixé à 1000 euros.

S’il est voté, le nouveau système de retraite sera appliqué aux générations nées après 1975, et de manière complète aux personnes nées à partir de 2004. La comptabilisation des points se fera dès 2025, se basant à la fois sur le régime actuel et le futur régime pour calculer la pension des personnes nées entre les deux. Concernant les régimes spéciaux, la réforme entrera en vigueur pour les générations nées à partir de 1980 ou 1985.

  • Les retraites, ou l’éternel point de cristallisation entre gouvernement et syndicats 

Depuis l’annonce des principaux axes de la réforme des retraites à l’automne 2019, trois mois de négociations devaient être lancés, le projet de loi devant en principe être présenté en Conseil des ministres fin janvier. Mais les négociations sont rudes et ne parviennent pas à un aboutissement concret. La grève interprofessionnelle lancée le 5 décembre ne se conclut pas, tant les discussions entre représentants syndicaux et gouvernement sont complexes, voire figées. Se sont rassemblés dans les rues depuis l’annonce du projet de nombreux groupes de travailleurs : SNCF, RATP, salariés des hôpitaux, pompiers, avocats, membres de l’Education Nationale, bien que l’intensité des mobilisations diminue avec l’étalement des grèves.

Une des principales mesures mises en cause a été celle de l’âge pivot, fixé à 64 ans, âge permettant de toucher une retraite à taux plein sans pour autant repousser l’âge de départ à la retraite (62 ans). Ce pan de la réforme a été abandonné suite aux négociations avec les partenaires sociaux, comme annoncé dans une lettre d’Edouard Philippe le 11 décembre 2020, et remplacé par l’âge d’équilibre. Cependant, les syndicats s’opposent à cette réforme pour d’autres raisons : ils considèrent entre autre le régime par points injuste, et refusent de voir la fin des régimes spéciaux.

Les mobilisations à répétition des travailleurs et la grève prolongée des transports notamment ont eu raison d’une partie du projet de loi porté par le gouvernement : suppression de l’âge pivot, maintien de certains régimes spéciaux. Ces concessions n’ont cependant pas permis de rétablir un dialogue sain entre les deux parties et de mettre fin à la grève conduite depuis un mois et demi. La situation politique en ce début d’année est assez révélatrice des difficultés intrinsèques à la société française, autour des questions d’égalité et d’universalité, mais aussi autour du dialogue entre les politiques et les partenaires sociaux, seulement quelques mois après les manifestations des gilets jaunes qui ont secoué le pays entre octobre 2018 et juin 2019.

[1] En opposition au système par capitalisation, comme établi aux Etats-Unis notamment. Le système par répartition implique le paiement des pensions de retraite par la cotisation des actifs, c’est donc un système intergénérationnel basé sur le principe de solidarité.

Joséphine Boone