L’arrestation du patron de l’alliance automobile regroupant Renault, Nissan et Mitsubishi, a fait grand bruit.  D’abord parce qu’elle s’inscrit en miroir inversé des revendications de justice fiscale des gilets jaunes, mais aussi parce qu’elle révèle les jeux de pouvoir se déroulant au sein de la firme internationale.

La chute

C’est à la sortie même de son avion, que Carlos Ghosn est mis en arrestation par la justice japonaise le 19 novembre. Celle-ci marque le début de la descente aux enfers pour le patron français, jusque là considéré comme une icône du capitalisme mondialisé. On lui reconnait la réussite du mariage entre le constructeur français et japonais qui a permis de sauver Nissan et se trouve aujourd’hui indispensable pour faire vivre Renault. Son arrestation provoque alors de nombreuses interrogations sur la pérennité de cette alliance. La situation tire pourtant son origine du groupe lui-même, puisque c’est une enquête interne au groupe Nissan qui a alerté les pouvoirs publics nippons. On reproche au patron français d’avoir caché au fisc japonais la moitié environ de ses revenus au cours des cinq dernières années et d’avoir mis en place tout un système de détournement chez Nissan pour financer son train de vie fastueux. Si l’intéressé a immédiatement été démis de ses fonctions au sein du groupe japonais, les administrateurs français temporisent, « faute d’informations suffisantes »*.

La « gouvernance à la française » mise à mal

On remarque bien, dés lors, une certaine opposition entre les deux parties du groupe que Carlos Ghosn avait jusque là permis de contenir. Il semblerait pourtant que cette association se soit constituée au prix d’une gestion hégémonique, à la vue des témoignages** qui décrivent Carlos Ghosn comme un patron tout puissant, s’arrogeant toutes les fonctions de direction jusqu’au sein du groupe japonais. A travers son arrestation, c’est donc également une partie du système de gouvernance à la française qui semble discréditée.
Les différences culturelles entre les deux pays peuvent effectivement être considérées comme un point central de friction entre les deux entités. Celui qui se disait fin connaisseur de la culture managériale japonaise, a pourtant sous-estimé l’impact de sa conduite personnelle des affaires sur ses collaborateurs japonais. Ils auraient laissé faire les agissements douteux du patron pour mieux les utiliser, à leur profit, le moment venu. Et le moment est arrivé, semble-t-il. Carlos Ghosn était effectivement en train de préparer une fusion plus étroite entre les deux groupes, qui aurait pu menacer les interêts japonais, déjà peu pris en compte dans la gouvernance de l’alliance. Cette affaire est donc l’occasion pour Nissan de gagner en puissance au sein de la coopération entre les deux constructeurs. Et même si les deux parties déclarent aujourd’hui tenir fermement à leur association, celle-ci semble pourtant fortement fragilisée.

Sources : Le Point, édition du 22 novembre

A la croisée d’enjeux stratégiques

A travers cette affaire, ce sont donc bien des enjeux stratégiques de fond qui sont en train de se jouer. Le contexte qui voit un certain retour du protectionnisme, pourrait expliquer pourquoi les autorités japonaises n’ont pas hésité à agir de façon rapide pour défendre des interêts nationaux qui semblaient menacés. Du côté français, l’Etat, actionnaire de Renault, tente de préserver ses interêts. Tout en voulant garantir le maintien du partenariat, le ministre de l’économie, Bruno Le Maire a d’ores et déjà affirmé que « la présidence de l’alliance doit revenir à un Français »***. Mais la politique française peut également être considérée comme responsable du ressentiment japonais. Sans prévenir, l’Etat a en effet décidé en 2016 un doublement des droits de vote pour les participations qu’il détient dans les entreprises et donc chez Renault. Cette mesure a été considérée comme une agression chez Nissan. L’alliance automobile est donc bien au cœur d’enjeux stratégiques qui dépassent la simple analyse économique. Toutes ces responsabilités ont pourtant jusqu’ici été concentrées dans les mains d’un seul homme. Avec sa destitution, c’est donc tout le groupe automobile qui se retrouve tel un navire sans capitaine. Reste à savoir si cet attelage fera évoluer, ou non, son cap à l’avantage des japonais.

*Propos des administrateurs du groupe Renault consultés, repris par Mediapart.

**« Le temps où les gens pouvaient parler librement ou mettre au défi d’autres départements a disparu chez Nissan », a confié au Financial Times un banquier japonais qui a travaillé pour le groupe automobile.

***(Reuters), Paris – « Le directeur général de Renault doit rester le président de l’alliance Renault-Nissan », a déclaré mardi le ministre français de l’Economie et des Finances, Bruno Le Maire, interrogé sur LCI sur l’affaire Carlos Ghosn.